« Regarder plus loin, viser plus haut »

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L’édito du secrétaire général, Direction 273, mai/juin 2021

« Regarder plus loin, viser plus haut

S’il est évident que la crise sanitaire en cours va continuer à peser négativement pendant encore des semaines ou des mois sur le fonctionnement de notre système éducatif et de nos établissements, il n’en demeure pas moins, qu’à un moment ou à un autre, elle va finir par s’estomper et que nous reviendrons alors obligatoirement, si ce n’est aux jours d’avant, au moins à un cadre proche de celui que nous connaissions avant mars 2020.

Cette crise, par son caractère inédit et sa durée, aura profondément perturbé notre écosystème. Elle en aura fortement éprouvé les capacités de réactivité, soumis à l’épreuve ses aptitudes à l’adaptation à des formes mouvantes de situations et, surtout, outre d’évidents manques de formation à la gestion de crises de ce type, aura mis en tension durablement les personnels de direction. On mesure bien à quel point ils auront été sollicités dans des formes et sur des sujets assez éloignés de leurs pratiques habituelles.

Mais cette crise aura aussi provoqué l’émergence d’innovations fortes, en tous genres et sur divers plans, en percutant sans signaux précurseurs nos méthodes traditionnelles. Elle aura ainsi, de manière pérenne ou pas (l’avenir le dira), provoqué bien plus de changements que ce que n’importe quel Ministre aurait pu imaginer dans une dynamique réformatrice profonde.

A ce stade, et même si l’on imagine, voire espère, qu’un débriefing complet en sera réalisé, sur des bases d’analyses scientifiques qui le rendront le moins contestable possible, on peut cependant faire trois premiers constats.

En premier lieu, celui des difficultés et/ou de l’inadaptation de notre système centralisé et vertical à faire face avec efficacité à ce genre de percussion brutale. Ainsi, nous avons bien vu, ressenti et enduré, l’écart existant entre une organisation bureaucratique usuelle et des besoins immédiats quand la forme de la crise et les choix ministériels en découlant ont fait que l’essentiel des annonces se faisait en temps réel via des médias.

Nous avons aussi malheureusement constaté combien l’organisation pyramidale de notre administration faisait que les niveaux intermédiaires n’arrivaient pas à se départir d’un simple rôle de chambre d’échos des annonces parisiennes, quand cela ne se doublait pas d’effets Larsen particulièrement perturbants. Ce système descendant n’a, par ailleurs, sauf exceptions notables bienvenues, jamais réussi à se départir d’un mode de gouvernance par injonctions, là où une démarche collaborative était attendue et aurait sans doute été bien plus efficiente.

Ce modèle, dont la pertinence d’action sera quand même bien à interroger sur le fond, se sera de plus, et là aussi les exemples contraires auront été rares, malheureusement doublé d’une incapacité chronique à assurer une gestion de proximité des ressources humaines. Ainsi on pourra compter sur les doigts de quelques mains, les niveaux académiques qui auront su mettre en place des formes proches de soutien et d’appui aux personnels de direction, ne serait-ce que pour leur témoigner d’un peu d’empathie à défaut d’une aide concrète.

Enfin, alors que cette crise touchait nos établissements dans tous les domaines, la faible capacité de notre institution à prendre en compte les interactions, liées aux compétences particulières exercées par les collectivités territoriales dans nos EPLE, aura aussi sauté aux yeux des acteurs de terrain que nous sommes. Or, on aura bien vu là à quel point une gestion en tuyaux d’orgue est très concrètement perturbante, pour ne pas dire néfaste.

En second lieu, c’est l’efficacité des établissements secondaires publics comme maillons de solidité d’une chaîne d’ensemble qui apparaît comme un vrai élément positif de constat. C’est en effet dans et autour des collèges et lycées, cellules de base vivantes, que s’est organisée une action fédératrice qui, démultipliée par 7800, a permis au système de tenir. Par leur souplesse d’adaptation, leur vitesse de réaction, et leurs caractères protéiformes successifs, nos établissements ont ainsi démontré à quel point ils étaient un gage de solidité par gros temps. De ce point de vue, notre administration, les usagers et les différents partenaires du système éducatif, ont rapidement fait ce même constat positif. Ils ont ainsi fait des EPLE le point d’entrée unique de leurs demandes, pariant de manière très spontanée mais judicieuse, que c’est à ce niveau que leurs besoins immédiats seraient le plus rapidement et le mieux pris en compte. Ce en quoi ils n’ont en général pas été déçus.

Troisième constat, et pour nous il ne peut être le moindre, c’est le rôle majeur joué par les personnels de direction dans ce contexte. En dépit des manques, des retards, des lourdeurs, des contradictions, des maladresses, des incohérences, des fautes de gout, d’un certain caporalisme ambiant, nos collègues ont été complètement à la hauteur des missions qui leur sont confiées. Et pourtant ce qui leur a été demandé là était souvent très éloigné de ce à quoi ils ou elles étaient habitué(e)s, préparé(e)s ou formé(e)s. Leurs mérites n’en sont donc que plus grands !

Ainsi, par leur autonomie d’action bien comprise, par leur rapidité d’adaptation, par leur sens proportionné des responsabilités, par leurs capacités à prendre de la hauteur, du recul, de la distance, les équipes de direction ont fait preuve d’une remarquable maitrise dans cette tempête. Le tout, et alors que bien souvent peu se préoccupaient des conditions dans lesquelles elles étaient amenées à faire face, touchées elles-mêmes parfois par le virus et la maladie, le tout assorti d’une aptitude à la résistance et à la résilience qui aura forcé le respect.

Ce triple constat n’a pas vocation à être exhaustif mais, et s’il devra avec assurance être complété de manière bien plus détaillée, il permet cependant un premier bilan provisoire. Il peut ainsi tracer quelques lignes de force en matière de propositions post-crise. Non pas seulement pour mieux nous préparer à une nouvelle ou autre vague, ou bien à diverses répliques sismiques, mais surtout parce que l’on peut imaginer tous les bénéfices qu’il y aurait à en tirer aussi dans un contexte plus apaisé.

Il faudrait donc à tout le moins s’interroger sur les faiblesses de notre système, mises en lumière par cette crise durable. Certes, on nous objectera forcément notre propension à ne voir, une fois de plus, que plus que le verre à moitié vide. Mais, même si nous prenions son côté à moitié plein en priorité, en quoi cela nous empêcherait-il d’imaginer comment, il pourrait être ou moins vide ou plus plein si l’on préfère ! Dans la mesure où le SNPDEN-UNSA a toujours été adepte d’une critique mesurée au service d’une dynamique de progrès, loin d’une pratique permanente d’approches caricaturales, il serait sans doute utile que notre institution examine de près et son constat et ses propositions.

Ainsi la question du rôle des étages intermédiaires académiques peut-elle (et devra) être posée. Sont-ils vraiment une valeur ajoutée ou contribuent-ils à ajouter de la perturbation ? S’ils doivent être un plus, comment faire pour qu’ils apportent un coefficient multiplicateur plutôt que d’être facteurs d’éparpillement et de brouillage ? Comment imaginer une répartition plus efficace des rôles des différents étages administratifs pour faire en sorte que la proximité soit au service des EPLE et des directions, et pas juste une énième brique administrative qui n’apporte rien de plus qu’une simple courroie de transmission, si ce n’est de la perte en ligne ?

A ce titre du pilotage centralisé, il sera aussi nécessaire de questionner l’usage des outils de communication. S’il y a bien un élément qui a provoqué incompréhension et colère chez nos collègues, c’est bien d’avoir eu trop souvent le sentiment, sur ce plan de la communication, de n’être que la cinquième roue du carrosse. Sans doute l’expression de « nous prenions des nouvelles par le canal d’un nouveau « BOFM » » rend-elle compte d’une exaspération ponctuelle explicable par les tensions de la crise. Mais il n’en demeure pas moins que la thématique de l’équilibre, dans ce genre de contexte, entre communication grand-public et diffusion par les canaux administratifs spécifiques méritera-t-elle d’être sérieusement analysée tant il est patent qu’elle a perturbé notablement nos collègues. Il en sera sans doute de même pour ce qui concerne les moyens d’alerte en temps réel relatifs aux changements apportés, parfois d’un jour sur l’autre, vacances et week-end compris, aux protocoles et autres FAQ.

Le deuxième axe devrait valoir pour les EPLE. Si l’on s’accorde sur le constat de leur pertinence comme atomes essentiels de notre système, il faudra alors penser autrement les moyens et les fonctions qui leur sont délégués. Les questions liées aux règles de fonctionnement collectif versus la liberté pédagogique individuelle des enseignants, à l’accompagnement des équipes dans un mode collaboratif, aux régulations internes en lien avec le fonctionnement classique des instances, aux outils numériques dans le cadre d’une évolution des pratiques pédagogiques sont d’évidence des champs larges qui devront être labourés à nouveau à l’aune des bouleversements constatés depuis un an.

Ainsi, la question des moyens sera à repenser. Outre qu’ils sont bien trop souvent sous-administrés du fait des manques en personnels d’encadrement, on a bien vu que c’est surtout d’AED, de CPE, d’infirmièr(e)s et d’AS dont ont manqués nos établissements plus que de profs ! (Question des remplacements mise à part). Il ne sera donc pas incohérent, sur ces bases, que les législateurs et les décideurs publics s’interrogent sur les bons choix à faire en matière de dépense publique pour l’éducatif lors des échéances politiques à venir.

De la même manière, et sous la focale de l’unité de fonctionnement des EPLE, la question de la cohérence des interventions respectives et des responsabilités entrecroisées de l’Etat et des collectivités territoriales sera à remettre sur le tapis tant les discordances, quand ce ne sont pas les contradictions ou les oppositions, ont pu apparaître comme des handicaps certains, parfois durement vécus au quotidien.

Enfin, il faudra que notre système et ses différentes composantes finissent par intégrer que l’on peut et doit faire confiance a priori aux personnels de direction, tant ils sont aptes, par nature et par expérience, à faire face aux différents aléas de cette typologie de perturbation. La conséquence de cette confiance, renouvelée ou à établir, serait de rompre avec un modèle vertical redondant dont on voit bien à quel point il est inopérant si ce n’est contre-productif.

Ce changement majeur d’orientation en termes de gouvernance devrait s’accompagner de plusieurs nécessités consubstantielles à ce déplacement conséquent de trajectoire. On devra ainsi intégrer qu’il faut se décider à informer en priorité nos collègues, en préalable à toute communication grand-public. Qu’il faut leur laisser un temps minima de réaction et de mise en œuvre des décisions du fait des nécessités organisationnelles inhérentes au terrain. Qu’il faut leur apporter appui et soutien et que ce devrait être la priorité des hiérarchies intermédiaires qui seraient ainsi en contact opérationnel direct avec les directions, plutôt que dans un rôle prescriptif qui pourrait, lui, être de la compétence exclusive du niveau national. Qu’il faut les soulager de l’accessoire et du momentané quand ils ont déjà bien assez des contingences du moment sans avoir à gérer en plus des demandes superfétatoires (enquêtes, évaluations, certifications, …) dont l’intérêt direct et immédiat pour les élèves comme pour les établissements apparait pour le moins modeste. Notre ministère (des Sports en plus !) serait ainsi bien inspiré de comprendre que ce n’est pas sous les rafales que l’on envoie de la toile alors qu’au contraire le navigateur expérimenté sait que c’est justement à ce moment qu’il faut prendre a minima un ou deux ris dans la voilure, voire se mettre à la cape, pour laisser passer le coup de vent sans casse.

Cette approche, que l’on pourrait résumer par la formule « regarder plus loin, viser plus haut », permettrait de sortir, d’une part, par le haut de la crise actuelle. Et, d’autre part, d’en tirer des leçons profitables tant pour un éventuel nouvel épisode difficile que pour un retour à la normale. Elle est aussi en phase avec la philosophie générale de réflexion et d’action du SNPDEN-UNSA car c’est bien parce que nous sommes ambitieux pour notre système qu’il nous semble naturel d’être exigeant dans l’analyse comme ouvert dans la proposition.

Cette formulation nous autoriserait, dans le même temps, à poursuivre deux autres objectifs propres. A savoir, à court terme, nourrir les débats que nous allons avoir dans le cadre des groupes de travail du dialogue social qui se sont ouverts depuis le 18 mars avec la DGRH sur nos conditions d’exercice du métier. Et, à moyen terme, et puisque le Ministre vient d’annoncer la création d’une Direction de l’Encadrement, en place du service actuel, alimenter la prospective sur ces notions globales d’encadrement dans un cadre élargi.

Finalement et pour nous résumer, on peut dire que plus que de consignes nous avons besoin de conseils, plus que de directives nous avons besoin d’échanges, plus que de pressions nous avons besoin de temps, plus que d’injonctions nous avons besoin de sens pour notre action de cadres.

Pour le reste, et sans forfanterie ni démagogie, nous savons faire !

C’est un message fort et clair que le SNPDEN-UNSA porte et continuera à porter car il nous paraît à la hauteur de l’ambition que nous avons pour notre profession, et en phase avec ce que nos collègues en attendent dans son exercice au jour le jour.

Plus loin, plus haut et donc bien entendu plus fort ! »

Ph VINCENT, Secrétaire général

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